« Pacienta e brava, l’aranha
occitana teis sa tela
per engabiar la maranha
e que las paraulas vièlhas
encara un còp beluguejen ».
Bernard Lesfargues.
« Patiente et vaillante, l’araignée/ occitane tisse sa toile/ pour emprisonner le malheur/ et pour que nos vieilles paroles/ une fois encore étincellent…. »
L’occitan est une langue romane qui se déploie sur la moitié sud de la France et englobe quatorze vallées alpines à l’Ouest du Piémont en Italie ainsi que le Val d’Aran en Espagne.
Les 900 ans d’histoire de l’occitan en tant que langue d’écriture tiennent peut-être dans ces quelques vers de Bernard Lesfargues. La poésie occitane, riche de « vieilles paroles » trouve son origine, aux XIIe et XIIIe siècles, dans la lyrique troubadouresque dont la prestigieuse tradition littéraire a marqué profondément et durablement la culture européenne.
Ainsi Dante, Pétrarque ou encore les poètes galaïco-portugais des XIIIe et XIVe siècles reconnaissaient-ils les troubadours comme leurs maîtres. Les cansons de ces premiers poètes occitans sont des hymnes à l’amour sublimés par l’amour des mots, de leurs sonorités, de l’inépuisable ressource de la langue occitane, toile d’araignée qui toujours se retisse et « emprisonne le malheur ».
Au cours du XVIème siècle, la langue est progressivement écartée des sphères de l’élite et du pouvoir. Néanmoins des foyers de création poétique porteurs de la « Renaissance occitane baroque » résistent à ce mouvement général en choisissant d’allier avec succès la langue du peuple, dans ses formes dialectales, à la plus haute création littéraire, comme l’a remarquablement illustré le poète toulousain Pèire Godolin au XVIIème siècle.
En 1904, le Prix Nobel de Littérature est attribué au poète Frédéric Mistral qui revendiquait de composer pour les « pâtres et habitants des mas »1. Grâce à la reconnaissance internationale ainsi témoignée, la poésie occitane recouvre ses lettres de noblesse.
Depuis le XVIème siècle avec l’institution du français comme seule et unique langue d’élite en France, écrire en occitan est un véritable parti pris littéraire, linguistique, esthétique, politique. Depuis quatre siècles, tout auteur de langue occitane a choisi sa langue d’écriture dans un contexte où celle-ci était langue vulgaire, vernaculaire puis minoritaire…
D’un point de vue linguistique, de par sa position géographique centrale sur l’aire romane (de la côte atlantique à la côte méditerranéenne et des Pyrénées jusque aux Alpes), la langue occitane réuni des traits gallo-roman et ibéro-roman. Parce qu’elle n’a jamais été la langue d’un pouvoir, elle est demeurée pluri-dialectale. On distingue quatre grands dialectes entre lesquels l’intercompréhension est évidente : le gascon, le nord-occitan, le languedocien et le provençal. Au gré de l’histoire la langue occitane a connu plusieurs appellations, ainsi chaque dialecte a-t-il, à une période donnée, été utilisé pour la désigner. On rencontre aussi le terme de « lenga romana » et lingua occitana, le terme « occitan » ne s’est généralisé qu’à partir du XIXe siècle. Néanmoins, la langue des troubadours médiévaux répondait à une norme littéraire unifiée, une véritable koinè.
Les langues de France autres que le français, ont beaucoup pâti de leur désignation commune sous le terme de « patois ». Ce terme apparaît dès le XVIe siècle dans les dictionnaires de langue française, la définition qu’en donne Antoine Furetière (auteur du premier grand dictionnaire encyclopédique de la langue française) au XVIIe siècle est tout à fait édifiante : « PATOIS. Langage corrompu et grossier, tel que celui du menu peuple, des paysans et des enfants qui ne savent pas encore parler ». Non seulement ce terme recouvre dès ses origines un sens absolument péjoratif mais surtout il nie tout simplement le statut de langue…aux langues qu’il désigne.
En dépit du mépris des élites du pouvoir, la langue occitane est demeurée la langue majoritaire, et la langue unique de beaucoup de gens, dans le sud de la France jusqu’au début du XXe siècle. Les lois Ferry de 1881 et 1882 ont rendu l’instruction primaire obligatoire pour les garçons et filles âgés de 6 à 13 ans et l’école publique, gratuite et laïque. Les instituteurs ont alors eu, entre autre, pour mission sur l’ensemble du territoire de la France, d’enseigner le français et d’éradiquer la pratique des autres langues. On a vu alors se développer dans les cours d’écoles des écriteaux sur lesquels on pouvait lire « Il est interdit de parler patois et de cracher par terre » par ailleurs, l’emploi du « signal » s’est généralisé. Il s’agit d’un objet « vilain », bout de bois, os d’animal, etc. que l’on accrochait au cou des enfants auquel échappait un mot dans leur langue maternelle. L’enfant porteur du signal recevait une punition (psychologique, morale et physique). Ainsi pour y échapper les enfants devaient pratiquer la délation et désigner au professeur ceux qui avaient utilisé une autre langue que le français que ce soit dans la cour de récréation ou en classe. Cette pratique a été largement utilisée, à partir de la fin du XIXe siècle, autant en métropole que dans l’empire colonial français (au Maghreb, en Afrique noire et dans l’Océan Indien).
La langue occitane a définitivement disparu des sphères populaires autour de 1950. Il n’existe plus aujourd’hui, à proprement parler, de locuteurs naturels. Certaines personnes sont encore bilingues occitan-français depuis leur naissance. Mais aujourd’hui la plupart des locuteurs sont des militants ou enfants de militants, des personnes conscientes de l’histoire de cette langue et de la richesse de la culture qu’elle véhicule. Bien que la langue parlée par certains d’entre eux leur ait été enseignée dès l’enfance, il ne s’agit plus d’un processus naturel mais d’un choix effectué au sein de la cellule familiale.
Au nom de l’article 2 de la Constitution stipulant que “La langue de la République est le français”, la France a refusé de ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Les actions en faveur de la promotion et de la défense des langues régionales en France sont donc limitées au regard de nombreux pays voisins.
Il existe tout de même une vie culturelle, médiatique et intellectuelle en occitan dont l’existence repose sur des initiatives et des soutiens locaux. L’occitan est présent à la radio, à la télévision et dans la presse écrite, a minima.
Pour ce qui touche à la question essentielle de l’enseignement, quelques rares écoles primaires associatives, les « Calandretas », délivrent leur cours entièrement en occitan2. En 1991, l’Education Nationale a ouvert un concours délivrant des postes de professeurs d’occitan en collèges et en lycées, malheureusement celui-ci est d’ores et déjà réduit à 4 postes annuels et régulièrement menacé de fermeture. Il existe cependant de nombreux cours du soir pour les adultes qui sont bien ancrés et développés sur tout le territoire par des associations culturelles. Enfin, l’occitan est aussi enseigné dans certaines universités du sud de la France où il est possible de mener un cursus complet jusqu’en doctorat.
Le nombre de locuteurs actuels de l’occitan est extrêmement malaisé à définir, il varie de 1 millions à 10 millions selon les enquêtes et les critères de sélection… En 1990 l’Occitan a été reconnu comme une des langues officielles du Val d’Aran, en Espagne, puis dans toute la Catalogne depuis le 22 septembre 2010. L’occitan et le catalan sont des langues « sœurs » et certains linguistes les considèrent comme appartenant à un seul et même diasystème.
Du point de vue artistique, il existe quelques troupes théâtrales, de nombreux groupes de musique (musique traditionnelle mais aussi contemporaine, Ska, rap, électro-acoustique, expérimentale, etc) mais aussi des peintres qui placent leur création sous de sceau de la culture occitane. En ce qui concerne la création littéraire, il existe plusieurs éditeurs spécialisés en langue occitane, la production littéraire demeure importante au regard de la situation de la langue dans la société, de nombreux romans, recueils de nouvelles et de poésie paraissent chaque année. Quelques éditeurs bien ancrés dans le paysage littéraire en France publient parfois des auteurs de langue occitane, par exemple le poète gascon Bernard Manciet (1923-2005) a été récemment publié dans la prestigieuse collection NRF Poésie/Gallimard.
Enfin, illustrant la vigueur de la vie littéraire contemporaine en langue occitane, le Pen Club de langue d’oc s’est récemment refondé et a été reconnu comme une section officielle du Pen Club International le 16 septembre 2011 au congrès de Belgrade.
Pour finir…je vous invite à découvrir un dialogue entre poètes (publié dans la revue Triage à l’occasion d’un numéro intitulé « L’aujourd’hui vivant de la poésie occitane »). James Sacré, poète de langue française, témoigne ici d’un regard éclairé et humaniste sur cette autre langue trop longtemps méprisée en son propre pays. Dans ma réponse, je livre une réflexion sur mon usage de la langue occitane comme langue de création.
James Sacré :
Ecrire en occitan aujourd’hui n’a évidemment pas besoin qu’on le justifie : une langue existe, vivante (même si se heurtant à des difficultés pour sa pratique et sa diffusion), vivante avec une longue et brillante histoire ; donc elle se parle et elle s’écrit.
Mais elle s’écrit à l’intérieur d’un contexte linguistique et socioculturel autre : celui d’une langue d’Oïl (le français pour l’appeler par son nom) qui oublie si facilement ses prétentions, son arrogance et le colonialisme brutal imposé à d’autres langues du pays. Une langue qui affecte de croire qu’elle fut un facteur décisif de « progrès », de « mieux-être » et, comme elle en est persuadée sans doute aussi, de « mieux penser ». Or le cours de l’histoire aurait pu être tout différent et néanmoins pareillement riche de développements autrement vivants et porteurs d’avenir.
De temps en temps on croit percevoir que ce français triomphant s’inquiète de son triomphe et d’une biodiversité linguistique en grande partie saccagée. Ne s’en inquiète pas tant en fait, juste assez pourrait-on croire pour se racheter une bonne conscience.
Dans ce contexte que je décris de façon peut-être trop négative, ou pas assez s’il se trouve, comment ressentez-vous l’existence (plaisirs et difficultés) de votre activité poétique en occitan ? La parole poétique occitane se nourrit-elle de la poésie écrite en français, se soucie-t-elle éventuellement d’être une composante d’une littérature nationale (au sens le plus ouvert du terme, à travers des échanges avec le français) qu’elle contribuerait à faire vivre ? Ou bien se développe-t-elle en une sorte d’autarcie qu’elle choisirait ou qu’on lui imposerait ? Bref, à quels problèmes se heurte-t-elle ? Quelles sont ses satisfactions ? Quels sont ses frustrations et ses espoirs ?
(ma réponse) :
Mes activités en tant qu’occitaniste, lorsque je milite pour la défense et la promotion de la langue et de la culture occitanes, se développent en pleine conscience du contexte linguistique et socioculturel que vous décrivez.
Il en va tout autrement de mon expérience poétique en langue d’oc. Ma poésie n’est pas et ne se veut pas militante dans son contenu. J’assume néanmoins parfaitement le parti-pris (et donc la dimension politique au sens large) que représente le choix de cette langue comme langue d’écriture à l’égard de ce contexte.
Cependant, mon parti-pris fondamental est d’ordre esthétique.
Un jour − j’avais 18 ou 19 ans −, un ami anglais m’a proposé d’écrire un poème pour un prix de poésie en langues romanes qui se tenait en Angleterre, j’ai alors naturellement composé en occitan. Je crois avoir aujourd’hui compris l’origine de cette évidence, car c’est vraiment en toute évidence que j’ai écrit mon premier poème dans cette langue, sans aucune forme de distance critique.
L’occitan que je parle couramment, n’est pas pour autant ma langue maternelle. Quelle que soit notre langue maternelle, elle nous introduit d’emblée dans une relation utilitaire avec le monde tout autant qu’elle nous lègue des conventions et des interdits inhibiteurs. Je n’ai pas grandi dans cette langue. N’ayant pas à composer avec ces entraves, s’est offerte à moi la possibilité d’engager par cette langue un rapport créateur : « los, ledig und frei ». Quand j’emploie le terme « créateur », je pense à Bergson. Car la poésie, telle que je la conçois en particulier, correspond à sa compréhension de l’art en général ; l’art fondamentalement détaché de la perception utilitaire du monde nous apprend à renouveler notre regard sur la réalité.
Dès lors qu’il s’est agi d’écrire un poème, j’ai employé cette langue que j’aime pour ses couleurs, ses sonorités, ses rythmes mais surtout parce qu’elle favorisait un détachement esthétique d’avec le monde, me permettant de l’aborder dans une dimension pleinement poétique. Et s’il me tient à cœur de qualifier ce rapport par les mots de Schelling, c’est parce que c’est cette expérience « libre, libérée et affranchie » du langage que je veux donner à partager à travers ma poésie en langue occitane.
Aujourd’hui j’ajouterai que cette expérience qu’il m’a été donné de vivre par la langue occitane m’a permis d’apprivoiser au fil des ans, ma propre langue maternelle comme langue de création. J’ai découvert ces dernières années un processus de composition poétique parfaitement bilingue. Je passe de l’une à l’autre langue sans distance critique. Les langues s’épousent et me surprennent dans leurs mouvements.
Partant de là, vous comprendrez que je ne conçoive pas ma parole poétique dans une dimension nationale (comme composante en littérature de la diversité linguistique du territoire de la France) ni nationaliste (l’occitan revendiqué à l’échelle d’un territoire et d’une identité linguistiques en réaction à une forme de « colonisation linguistique »).
Concernant le lecteur auquel je m’adresse, ou du moins le lecteur fantasmé, je m’adresse aux personnes sensibles où qu’elles puissent être situées dans l’espace ou le temps. En écrivant de la sorte, j’entends faire mienne et donner à partager cette invitation de Romain Roland : « le devoir est de construire, plus large, plus haut, dominant l’injustice et les haines des nations, l’enceinte de la ville où doivent s’assembler les âmes fraternelles et libres du monde entier ».
Aurélia Lassaque,
octobre 2011.